Mort (virtuelle) d’un community manager

Jeudi 2 mai 2013, mon alter ego David de la Picardie a définitivement disparu de Twitter, remplacé par mon vrai moi, @davidtabary, un choc dont j’ai encore du mal à me remettre tellement je ne suis pas habitué à tweeter sous ma véritable identité. Certes, David de la Picardie existe toujours sur Facebook, mais il n’est plus très actif ces derniers temps. C’est que, voyez-vous, je quitte bientôt mon poste de community manager de la Région Picardie pour rejoindre la Région Nord Pas de Calais. Mais pourquoi donc fermer ou mettre en veille ces profils ? Déjà parce que j’en ai le droit. Ensuite, parce que je quitte la Picardie avec la certitude que ce “David de la Picardie” était une mauvaise idée (sans aller jusqu’à parler d’erreur) et que j’espère bien qu’il n’y aura jamais de David du Nord Pas de Calais. Pourquoi ? Petit retour en arrière…

En 2010, la Région Picardie est une des premières collectivités locales française à créer un poste de Community Manager à temps plein. Dans les réunions préparatoires à ma prise de poste se pose très vite la question des profils et pages. A l’époque la Région a une page Facebook qui compte quelques centaines d’abonnés. Un des moyens envisagés pour faire grandir la page est un de ces moyens “artisanaux” que beaucoup ont connu, voire utilisent encore aujourd’hui : le CM a un profil avec lequel il demande plein de gens en amis avant de leur envoyer une invitation à aimer la page institutionnelle, et ce au mépris des conditions générales d’utilisation de Facebook. La question est alors de savoir si je peux faire cela avec mon compte Facebook qui était jusque là réservé à quelques intimes avec qui je partageais mes passions, mes angoisses, mais aussi mes blagues douteuses ou mes opinions politiques, le tout n’étant pas forcément compatible avec ce qu’on attend de l’expression publique d’un fonctionnaire ou d’un communicant. Et puis à l’époque il n’est pas possible d’adresser facilement certaines publications à une liste d’amis proches et d’autres à des contacts professionnels.

C’est ainsi que nous décidons de créer un faux profil Facebook, là encore au mépris des conditions générales d’utilisations, doté d’un avatar et d’une fausse identité. Les avantages nous semblent multiples :
– la vie privée du community manager est protégée
– avec ce profil le CM peut intervenir de façon plus humaine et moins institutionnelle sur la page Facebook, et le pseudo “David de la Picardie” permet de comprendre facilement que l’on est en train de parler avec un agent du Conseil régional de Picardie
– bien qu’humanisée, la présence de “David de la Picardie” n’entraîne pas un attachement trop important à la personne du community manager, et celui-ci sera plus facilement remplacé par un “Nicolas de la Picardie” ou une “Julie de la Picardie” le jour ou un changement de CM devra intervenir.
Initialement prévu pour Facebook, le personnage “David de la Picardie” verra aussi le jour sur Twitter pour y partager de la veille et interagir avec ses pairs, puis sur tout un tas d’autres supports.
Et l’authenticité dans tout ça ?

Ce que je n’ai pas compris à l’époque, c’est qu’un bon community manager est aussi quelqu’un à qui on peut légitiment s’attacher, avec qui on peut aussi parler de choses plus légères, avec qui on peut se découvrir une passion commune au détour d’une conversation. Pas un robot qui ne parle que boulot et ne vit que de ce que produit son employeur. Quant à gérer deux identités numériques, ce n’est déjà pas simple d’en gérer une, alors là bonjour la schizophrénie ! Je pense que pour certaines personnes, David de la Picardie est vite apparu comme un artifice de communication, une stratégie et non une démarche bien intentionnée. Ou si ce n’était pas aussi clair que cela, c’était en tout cas un personnage avec qui on n’avait pas forcément envie d’engager la conversation de prime abord. Tout ceci m’est apparu encore plus clairement lors des dernières rencontres nationales du e-tourisme institutionnel, où une intervenante démontrait par l’absurde la nécessité d’une plus grande authenticité dans nos pratiques. Son exemple était celui d’une institution touristique où la Community Manager avait pris un congés maternité et avait été remplacée par un homme qui avait continué à écrire en se faisant passer pour elle pendant des mois, créant ainsi un malaise chez de nombreuses personnes qui se rendaient bien compte que quelque chose avait changé chez cette personne avec qui ils aimaient échanger au quotidien.
Si David de la Picardie n’a jamais été un réel handicap dans notre stratégie de communication, je pense que nous aurions accompli plus de choses et aurions aujourd’hui des communautés encore plus vivantes si j’avais été véritablement moi-même dans mes interventions sur les réseaux sociaux. J’espère donc que la personne qui me remplacera arrivera à faire entendre ce message, et pourra reprendre le community management de la Picardie sous sa véritable identité. Et que je pourrai revendiquer ma propre identité dans mes nouvelles activités. En attendant, RIP David de la Picardie, je ne pense pas te regretter tant que ça.
hidradenitis suppurativa treatment

[post-views]
Partager
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedIn

15 pensées sur “Mort (virtuelle) d’un community manager

  • 16 mai 2013 à 11 h 06 min
    Permalink

    Parce que cest du spam et dans les CGU. Les profils ne sont pas des pages. Point.

    • 16 mai 2013 à 13 h 33 min
      Permalink

      ah, si c’était aussi simple que cela chère Laura 😉 Ceci dit en passant, le profil en question ne respectait pas les CGU pour bien des raisons, mais il n’a jamais été utilisé comme une page. La présence Facebook de la Picardie est depuis le début ici : https://www.facebook.com/ma.picardie

  • 16 mai 2013 à 12 h 02 min
    Permalink

    Bonjour,
    excellent !
    Voilà le genre d’articles qui me plait bien. Parce que David il est authentique votre parcours (oui je sais du coup en contradiction avec votre expérience !) : merci pour cette sincérité et la prise de recul !
    A faire tourner dans les centres de formation !

  • Ping : Aveu d’échec et retour à l’authenticité : mort (virtuelle) d’un community manager | Tinkuy - Ingénierie en Intelligence Collective

  • 18 mai 2013 à 9 h 38 min
    Permalink

    100 % d’accord avec toi David sur le fait qu’un Community Manager reste avant tout un être humain, c’est ce qui fait le plus de la relation avec les internautes et doit donc porter un nom et un prénom (le sien ou celui d’un avatar : peu importe !).

  • 19 mai 2013 à 11 h 39 min
    Permalink

    C’est bizarre come approche dès le départ.
    Soit les collectivités territoriales désirent une solution professionnalisée interne,ou éventuellement externe, soit c’est juste idée d’être dans le vent… faire comme tout le monde.
    Premières conclusions: ne jamais travailler sous son propre profil pour des solutions tierces, et suivre cette collectivité avec attention pour relever ses prochains modes opératoires sur sa présence social média.

  • 19 mai 2013 à 18 h 36 min
    Permalink

    Bjr David, merci pour ces éléments d’appréciation. Je te souhaite bonne chance chez nos voisins. J’aimerai échanger avec toi sur le sujet du CM.
    Pa avance merci
    Fabrice

  • 21 mai 2013 à 8 h 26 min
    Permalink

    Un post à lire avant la mise en place de toute forme de stratégie “Réseaux Sociaux”…
    Merci David pour ce témoignage qui devrait permettre de mieux appréhender les problématiques quotidiennes de Community Managers pro.
    La solution est peut être donc dans cette maxime à 2 balles ? :
    “Etre soi même” ou “ne pas être” !

  • 21 mai 2013 à 15 h 19 min
    Permalink

    J’avoue avoir toujours différencié mon profil perso de mon profil pro. Impossible pour moi de poster pour mon client sous mon profil perso. Du coup je me suis créée une autre identité pour mon pro sans ma photo. Je n’ai jamais eu de soucis surtout que maintenant tu agis en tant que page et non en tant que personne.

    • 21 mai 2013 à 15 h 24 min
      Permalink

      @Lisa > Sachant qu’il est strictement interdit pour un individu d’avoir deux profils. À tout moment, vous risquez la suppression de l’un ou de l’autre. Vous pouvez très bien gérer vos pages directement depuis votre profil perso… en toute discrétion 🙂

  • 21 mai 2013 à 17 h 56 min
    Permalink

    Merci David pour tout le travail abattu pour la Picardie.
    La posture était singulière en effet. Quand on aime l’e-democratie, on se retranche de facto dans la défiance.
    Je veux bien être informé mais je refuse que ma conscience soit amputée ou aliénée. Les politiques passent mais la Picardie demeure.

    Un outil semblable peut se révéler singulièrement nocif. Heureusement, l’homme aux commandes portait haut la réflexion. La sincérité de ton billet la décision prise en sont les preuves.
    J’espère qu’on saura reconnaître toute la gamme de tes talents là où tu vas.

    Encore merci pour Picardie en ligne, pour ton travail en tant que gestionnaire de communauté et toute la pédagogie que vous avez su déployer.

    Eh moi qui souhaitait te présenter un projet de MooC. Si ta ou ton successeur est intéressé par la mise en place d’un MooC picard, je me tiens à sa disposition pour lui donner les bons contacts et quelques références en France et à l’Etranger.

    Félicitations pour avoir décroché ce nouveau poste.

  • 21 mai 2013 à 18 h 10 min
    Permalink

    Il était difficile pour les primo-utilisateurs issus des collectivités territoriales de définir un modus operandi dans le cadre des réseaux sociaux. Le changement de direction chez Google ne pouvait pas être prévu, ses mises à jours de l’algorithme de recherche, pas plus, la nouvelle politique de monétisation de Facebook encore moins et l’émergence de Twitter reste liée à la société du spectacle et à la culture du “tout tout de suite”.
    L’apparition du Google Authorship et son petit frère, l’Author-ranking ne permettent toujours pas d’établir une stratégie claire dans les domaines liés que sont les réseaux sociaux et le référencement du site de la collectivité. Il me parait dès lors normal qu’une collectivité (et son système hiérarchique), gérant sa communication, délègue peu ou prou à un ou plusieurs de ses agents, surtout quand il s’agit d’être réactif, le soin de gérer ses comptes “sociaux”, et surtout sous son propre nom considérant le fait électoral et ses échéances.

    Il va être difficile de faire changer les mentalités mais Google s’y emploie en proposant une nouvelle fonctionnalité sur le profil G+ : “est également auteur de ” ce qui permettra de fonctionner plus aisément avec son profil personnel. Après il y a le devoir de réserve qui doit s’appliquer aux CM comme aux autres 😉

  • Ping : L’Homme est Pluridisciplinaire | Réflexion | simplement Nat

  • 4 juin 2013 à 15 h 14 min
    Permalink

    Hoho ! je vois que les conférences de Beer Bergman ont finalement eu raison de ton ego numérique, mon cher David ! Quant à la dualité ou chiasme pro/perso, je pense que nombreux sont les territoriaux comme toi, ou moi, à se poser la question…Nous sommes des Agents, nous travaillons pour un Territoire…Il y a 10 ans, la question ne se serait pas posée…Mais à présent, je serais enclin à suivre ton exemple, et celui de nos amis québécois; tomber les masques, pour davantage de transparence ! Pourvu que les deux “faces” cohabitent sereinement…

  • Ping : Aveu d’échec et retour à l’authenticité : mort (virtuelle) d’un community manager | ptrebaul

Commentaires fermés.