Zones piétonnes et commerces : le bon ménage ?

Il n’est pas rare que la question de la piétonnisation de certaines zones de centre-ville, désirée dans le cadre d’un projet d’apaisement de la circulation VL, de sécurisation ou parce qu’elle est connexe à un projet de transports en commun devienne rapidement un sujet de crispation. Les commerçants en premier lieu font souvent partie des publics les plus inquiets. Pourtant des retours d’expérience tendent à prouver que des rues piétonnes ne signifient pas des zones mortes, bien au contraire ! 

C’est le post LinkedIn d’Inès de Parisot, urbaniste et designer urbain, vantant les mérites d’une expérience de piétonnisation dans un quartier montréalais, qui nous a décidé à consacrer un article à ce sujet que nous rencontrons presque systématiquement sur les projets que nous accompagnons chez Sennse. Que ce soit dans le cadre de projets de mobilités (l’arrivée de tramway ou de BHNS sur les territoires est souvent synonymes de réaménagements des circulations dans les centres-villes), de réaménagements d’espaces publics, ou même de démarches d’attractivité pour redynamiser les cœurs de ville, la question de la piétonisation et de son impact sur l’activité économique du territoire est centrale ! 

Mais si tout partait d’un malentendu ?  

Comme nous l’indique Philippe Gargov, fondateur du cabinet de conseil en prospective urbaine [pop-up] urbain dans une de ses vidéos consacrées au sujet, chaque projet de piétonisation depuis plusieurs décennies maintenant provoque une levée de boucliers, motivée par différents motifs que l’urbaniste catégorise pour nous :  

  • Le refus idéologique : le projet est souvent associé à des tendances écologiques, « un délire écolo-bobo » pas forcément justifié sur le fond. Cette catégorie est également nourrie du sentiment de victimisation de plus en plus ressenti par les automobilistes qui vivent les séries de mesures, que ce soient les mesures publiques (ZFE, généralisation des zones 30, passage aux 80km/h) ou des données contextuelles (hausse du prix de l’essence et du gazole) comme des persécutions à leur encontre et une atteinte à leur liberté. Chaque nouveau projet de piétonisation se conduit donc dans un contexte déjà tendu.  
  • Le refus pragmatique des commerçants inquiets de se priver de la clientèle qui travaille ou vit en dehors du centre-ville, et qui est donc souvent captive de l’automobile. Une crainte résumée par une phrase d’un des pionniers du modèle de l’hypermarché Bernardo Trujillo : « no parking, no business ».  

Pourtant, une étude du Cerema parue en juin 2020 démontrait et objectivait, chiffres à l’appui, ce que les professionnels du secteur avaient saisi depuis un moment. Dans une série de fiches sur la thématique des transports et de la mobilité, au chapitre « mobilité et commerces » : il est ainsi indiqué que 74% des clients des commerces de centre-ville dans les grandes agglomérations s’y rendent à pied, à vélo ou en transports en commun. 

Extrait d’une étude réalisée par le CEREMA

Une statistique, certes, qui baisse dans le cas des villes moyennes où la voiture est cette fois privilégiée pour se rendre dans les commerces, en grande majorité des grandes surfaces. Toutefois la voiture est concurrencée par les modes actifs (marche et vélo), pour les déplacements vers les petits commerces de centre-ville : 46% des consommateurs s’y rendent à pied ou à vélo, et 3% en transports en commun. La voiture étant très utilisée dès qu’un déplacement pour achat dépasse 3 kilomètres (8 déplacements sur 10), il semble désormais essentiel d’agir à deux niveaux :  

  • Maintenir et développer la proximité du commerce 
  • Développer les modes de transport, notamment les transports en commun, pour s’y rendre. 

Et si les chiffres ne vous suffisaient pas, quelques cas parlants pourraient finir de nous convaincre.  

Retours d’expérience : aux pays des piétons  

Revenons à Inès de Parisot qui nous a inspiré cet article, et plus précisément son retour sur le cas de l’Avenue du Mont-Royal à Montréal :   

« À l’été 2020, pour sécuriser les déplacements actifs sur les voies publiques et pour favoriser la cohabitation des usagers et le respect de la distanciation sociale dans le contexte pandémique, l’arrondissement du Plateau Mont-Royal lance une expérimentation sur cette avenue. Elle devient alors piétonne le temps de l’été. Plusieurs firmes de design montréalaises sont mandatées pour créer des aménagements temporaires qui viendront ponctuer le tronçon […]. La thématique proposée est celle du jardin. 2,7 km d’espaces urbains devaient être aménagés avec des aménagements temporaires, des installations artistiques ainsi que des initiatives en verdissement ».  

L’expérience est un tel succès qu’elle se poursuit en 2021, et est reconduite en 2022. En avril dernier, la mairesse de la ville, Valérie Plante expliquait ainsi que le principe serait systématisé à dix tronçons de rues montréalaises exclusivement réservés aux piétons pour les étés 2022, 2023 et 2024, en argumentant que la piétonnisation « contribu[ait] au dynamisme économique des artères commerciales ».

Là encore, chiffres à l’appui.   

Une étude de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a ainsi confirmé la vertueusité de l’expérience  :  

  • Plus de 50% des répondant(e)s étaient d’accord avec l’affirmation indiquant que la piétonnisation les a incité(e)s à dépenser plus dans les commerces environnants ; 
  • Près de 80% des personnes sondées étaient d’accord avec l’affirmation voulant qu’elles fréquentaient plus souvent l’avenue du Mont-Royal lors de sa piétonnisation ; 
  • Plus de 75% des passant(e)s sondé(e)s avaient une opinion positive de la piétonnisation ; 

De l’autre côté de l’Atlantique, dans le centre-ville de Brest, touché par un phénomène de désaffection, plusieurs leviers ont été activés pour redonner des couleurs aux commerces de proximité. Parmi les démarches entreprises, une expérimentation de piétonnisation dans les rues Navarin et Massillon au sein de ce qui constitue le « cœur bouillonnant » de la ville a été mise en place. Proposée dans le cadre des budgets participatifs, c’est finalement le candidat réélu François Cuillandre qui l’applique en 2021, accompagnant l’expérimentation d’une concertation.   

Quelques mois plus tard, Yohann Nédélec, adjoint au maire du quartier de Brest-centre et à la tranquillité urbaine, jugeait « l’expérience concluante » : « la piétonnisation a réellement apaisé la circulation et rendu la place plus attractive pour les familles. » Une expérimentation qui fait des émules : en juin 2022, un collectif de commerçants d’un autre quartier de Brest s’unissait pour réclamer la transformation d’une rue en voie piétonne, espérant ainsi redynamiser leurs activités.  

Des exemples parmi d’autres qui nous prouvent l’intérêt de la manoeuvre !

Ressources :  

Crédit photo couverture : Castor et Pollux 

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Marie Latirre

Co-directrice du planning stratégique de l'agence Sennse, Marie profite de sa veille et ses recherches quotidiennes pour nourrir sa réflexion sur les différents sujets accompagnés par Sennse et les recommandations de l'agence.

2 pensées sur “Zones piétonnes et commerces : le bon ménage ?

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