De la reconnaissance

Tout est parti d’un tweet de Franck Confino qui relayait cet article. Franck ajoutait un commentaire du type “la reconnaissance, ce graal dans le secteur public”. Et il faut bien avouer que mes commentaires en forme de plaisanteries, ou ceux de Benjamin Teitgen, ne témoignaient pas vraiment de l’existence de ce concept de reconnaissance dans nos métiers (“ne soyez pas grossiers messieurs” lâchait Benjamin). “Mais pourquoi donc les agents publics souffriraient à ce point d’un manque de reconnaissance ?” nous sommes-nous demandé.
En tant que social media manager de la Région Picardie, est-ce que je me sens concerné par le manque de reconnaissance ? De prime abord, non. J’ai toute la confiance de ma hiérarchie et mes évaluations annuelles sont plus que positives. Mais comme nous nous le disions avec Franck Confino, la confiance et la reconnaissance, est-ce vraiment la même chose ? Et puis il faut faire face aux blagues récurrentes (drôles mais par moment pesantes) de son environnement sur le thème “être payé pour passer ta vie sur Facebook et Twitter, quel beau métier tu as !” Certes ce type de réactions ne se limite pas aux collectivités locales.

Mais il faut bien dire qu’elles ont changé nos collectivités territoriales ces dernières années, surtout dans le secteur de la communication. Il nous a fallu apprendre des mots que certains considéraient souvent comme des gros mots, ces mots barbares empruntés au webmarketing. Les collectivités ont appris ce qu’était le buzz et on eu envie d’en faire, quitte à découvrir parfois que ce buzz pouvait être bad. Toujours plus réactif (il n’a pas eu le choix), toujours plus informé, toujours plus productif et multitâches, le communicant public a dû, et doit encore, s’adapter à l’évolution rapide de son environnement professionnel. Qu’elle semble loin l’époque où on nous enseignait les grands principes du service public. Alors que je “fête” cette année mes 10 ans de fonction publique territoriale, je me remémore, non sans émotion, ce que ce prof nous enseignait en formation initiale à l’ENACT de Dunkerque (je schématise un peu ce qui suit, désolé pour les puristes) : l’agent public n’est pas un travailleur comme les autres, il perçoit un traitement (et non pas un salaire) pour sa participation à l’accomplissement d’une mission de service public, il mène une carrière qui le protège des aléas et lui permet de contribuer discrètement, sans se mettre en avant, sans ambition démesurée, à l’effort collectif du service public pour l’intérêt général. Elle vient peut-être de là cette difficulté à reconnaître le travail des agents publics, un fonctionnaire n’est philosophiquement pas un travailleur comme les autres, son dévouement au service public est presque implicite. Sauf que le service public de 2013 ne ressemble plus vraiment à celui des années 70 ou 80.

“Toujours plus réactif, toujours plus informé, toujours plus productif et multitâches…”

Pour en revenir à mon expérience de community manager, lors d’un récent colloque je discutais avec un collègue du fait qu’aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, on considérera comme normal qu’un community manager réagisse à tous les commentaires et situations, quelle que soit l’heure, quelle que soit le jour de la semaine. Nous convenions que si un community manager devait être passionné et ne pas se limiter aux bonnes vieilles heures de bureau, il fallait forcément à un moment donné faire rentrer ces pratiques professionnelles dans un cadre légal. Et là que fait-on ? Heures supplémentaires ? Astreintes ? Télétravail ? Dur dur de trouver une solution adaptée qui ne se heurte pas au statut du fonctionnaire. Quand on demande sans cesse plus de productivité et de réactivité aux agents, la lourdeur du statut, notamment sur les questions d’évolution de carrière et de rémunération, peut vite devenir un frein à la motivation et à la passion. Je ne suis pas en train de dire que le problème serait la rémunération des agents du secteur public, l’article de Sciences Humaines dit bien que le niveau de salaire ne change rien à la nécessité de se sentir reconnu, et je ne suis pas là pour lancer un débat sur la rémunération des fonctionnaires. Ceci dit, de mon expérience, la marge de manœuvre quasi inexistante sur cette rémunération conduit à des conséquences étranges : faute de pouvoir reconnaître et valoriser la compétence de l’agent public par une augmentation de salaires, il n’est pas rare que celui-ci se voie proposer plus de responsabilités. Vous voyez le tableau ? Je vous fais une synthèse : l’agent public, à qui on n’a toujours pas verbalement témoigné de reconnaissance pour la qualité de son travail, parce que ce qu’il fait (bien) va de soi, se voit proposer de travailler plus (mais pas de gagner plus, ou très peu) au risque de désormais faire moins bien ce qu’il faisait jusque là, et de faire moyennement ce qu’il doit faire de nouveau. Il ne tardera pas alors à subir quelques reproches au sujet de ses nouvelles missions, et peut-être même à devoir se justifier sur la baisse de qualité sur ce qu’il faisait bien jusqu’alors. Quel paradoxe.

“Le principal est la reconnaissance qui vient des usagers”

Bien sûr, toute ressemblance avec des situations réelles et vécues par certains serait purement fortuite, et le fait que je sois à la fois responsable web et community manager de ma collectivité aujourd’hui n’a rien à voir puisque, avouons-le, je fais toujours aussi bien mon travail de community management (on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même) Et à la rigueur, le principal est pour moi  la reconnaissance elle me vient des usagers, et ce n’est pas plus mal.
Un énorme bravo au CM de la @regionpicardie pour sa veille et sa réactivité, quelle que soit l’heure. Un bon exemple à suivre!
— Matthieu (@mr_matth) Septembre 7, 2012


Vous me permettrez de terminer ce billet par un peu de corporate branding à peine déguisé, mais en lien avec le sujet. Quand je suis arrivé au Conseil régional de Picardie il y a 10 ans, le Directeur Général des Services de l’époque m’a présenté la Picardie comme une Région où l’on faisait beaucoup de choses mais où on ne savait pas communiquer sur ce qu’on faisait. 10 ans plus tard, je veux croire que les choses ont changé, la Picardie communique, mais nous continuons à nous mettre nous-même des barrières, comme pour correspondre au dicton picard “petits diseux, grands faiseux”. Savez-vous par exemple que la Picardie dispose d’une WebTv qui compte près de 2500 vidéos ? Des vidéos mises en lignes et produites par la Région elle-même, mais aussi par des partenaires ou même par des Picards passionnés d’images. Cette WebTv est par ailleurs compatible avec tous les supports car développée en HTML 5. Et pourtant, nous nous sommes interdit de communiquer sur cette WebTv parce que le formulaire de création de compte et d’upload n’était pas parfait, ou que les mentions légales étaient à réécrire. Ou comment peut-être rater “the big picture” sur un projet à ma connaissance quasiment unique en France. Reconnaissance des projets, reconnaissance des hommes… J’ai presque envie de terminer cet article sur une pirouette de CM en vous demandant “et vous, qu’en pensez-vous ?” pour ne pas avoir à conclure sur ce vaste sujet…
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Une pensée sur “De la reconnaissance

  • 16 février 2013 à 22 h 52 min
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    Je plussoie! Soyez assuré que la situation n’est guère différente en Belgique. Le concept de ” sanction positive” m’a un jour été offert comme récompense pour bons services. Plus de travail pour les bosseurs… Et l’inverse est tout aussi vrai malheureusement. Ce système peut être valorisant à court terme, l’égo est flatté par l’attribution de nouvelles attributions… Mais à long terme, ce système s’avère piégeux car source de burn out et/ou de démotivation…

Commentaires fermés.