Pour un meilleur travail dans la fonction publique

Faut-il rappeler les chiffres des baromètres sociaux sur la santé au travail, les drames psycho-sociaux relatés par les médias pour se convaincre encore que la fonction publique se porte mal, et, en particulier, la fonction publique territoriale ?

Une lente détérioration du climat social qui accompagne la décentralisation des pouvoirs
Depuis mon entrée dans la fonction publique en 1980, soit juste avant les Lois Defferre sur la décentralisation et la création du nouveau statut de la fonction publique, je n’ai cessé  de constater, en même temps que l’évolution de la société, une nette dégradation des relations de travail au sein des services de la fonction publique. Certains élus sont devenus des princes, entourés d’une cour et d’un système de réseaux d’influences qui sont venus perturber le bon fonctionnement du service public. Des visions de plus en plus électoralistes, clientélistes ont remplacé les tâches purement d’intérêt général auxquelles les fonctionnaires continuent à être formés. Il y a donc une contradiction entre les théories apprises par les fonctionnaires lors des préparations aux concours, lors des formations continues en management et la réalité du terrain, les décisions stratégiques des élus. Cette différence se creuse dans l’usage du pouvoir, ses abus, ses excès qui peuvent déboucher, comme cela m’est arrivé à plusieurs reprises, mais aussi à bon nombre de mes collègues, à des actes de harcèlement, de mise au placard, de mise sous pression et de dénigrements au détriment des compétences techniques acquises.
Sans en faire une généralité, cette tendance se répartit à tous les niveaux d’encadrement mais toujours sous l’impulsion ou l’appui du responsable politique, principal décideur des conditions de travail pour son personnel.

“C’est oublier que la fonction publique territoriale est encore majoritairement composée de personnes simples, de base, qui aspirent, comme tous salariés, à accomplir leurs tâches dans la sérénité et la dignité.”

En réalité, cela relève d’un véritable fléau managérial qui privilégie la loi du plus fort au détriment des bonnes volontés individuelles et leurs craintes d’être mis à l’index.
Plusieurs mondes qui s’affrontent dans la fonction publique
Une forme d’élitisme s’est installée dans les postes stratégiques de la fonction publique. Il n’est pas rare de voir des jeunes promus des grandes écoles se faire les dents dans des petites structures, au détriment des agents devenus “une armée mexicaine” aux yeux de ces nouveaux gestionnaires qui installent alors leurs tableaux de bord et leurs nouvelles méthodes de travail. C’est oublier que la fonction publique territoriale est encore majoritairement composée de personnes simples, de base, qui aspirent, comme tous salariés, à accomplir leurs tâches dans la sérénité et la dignité.
Moi-même, autodidacte, issu de la base à partir du plus bas échelon, j’ai dû m’affronter aux arcanes des concours et des formations pour évoluer, mais je n’ai jamais oublié d’où je venais et ce que je représentais parmi mes collègues. Malgré mes fonctions d’encadrement supérieur, je ne me suis jamais senti “supérieur” aux autres, mais plutôt facilitateur des talents en encourageant mes collaborateurs à se former, à se rendre autonomes et polyvalents.
Tous les fonctionnaires ne peuvent avoir les mêmes ambitions professionnelles et les mêmes possibilités par ailleurs, mais il faut considérer l’utilité de chacun, en respectant les savoir faire et adopter alors un savoir être accessible, humain.

Cette nouvelle catégorie de cadres vient enrichir la voûte politique et contribue au développement des systèmes d’influences par les réseaux, le copinage et méprisent en général ceux qui proviennent du sérail. Ils s’auto-protègent en quelque sorte, afin de préserver les systèmes de pouvoirs mis en place.
Etre humain dans la gestion des personnels de façon participative comme j’ai toujours tenté de le faire est synonyme d’être gentil, donc incapable de manager des équipes, d’être un “killer” selon les méthodes modernes néolibérales ; or, durant les trente glorieuses, nos ainés dans les collectivités locales ont pourtant réussi à accompagner la reconstruction et le développement de la Nation dans le profond respect de leurs agents, quelque soient leurs rangs, et bien souvent eux-mêmes à leur portées souvent jugées paternalistes. Moi j’appelle cela de la solidarité dans un même corps de profession comme on peut encore le constater dans certaines entreprises familiales ou coopératives.

Un déséquilibre des pouvoirs
Le système de la fonction publique repose sur le principe inverse du secteur privé en ce qui concerne la protection du travail. Les fonctionnaires ne disposent pas d’une juridiction paritaire comme les conseils prudhommales, ne peuvent saisir l’inspection du travail, ne bénéficient pas d’organes de médiation en cas de conflit dans leur travail. Seul le Tribunal Administratif constitue l’ultime recours alors que cette juridiction est non seulement débordée par les dossiers et donc très lente, et de plus non formée à la gestion des ressources humaines.

“Lorsque j’ai déposé mes recours pour excès de pouvoir, malgré de nombreuses preuves et témoignages déposés, je me suis vu infligé des classements sans suite ou des non lieux”

Le statut de la fonction publique contient des dispositions contraignantes pour le fonctionnaire comme le devoir d’obéissance, l’obligation de service… et les rend ainsi vulnérables lorsqu’ils font l’objet d’une “vendetta” ou d’un matraquage en règle pour des raisons non professionnelles. La charge des preuves lui incombant en cas de plainte, il lui sera alors difficile d’éviter la fuite, et bien souvent une mutation sans accompagnement et donc  avec le risque de se retrouver à nouveau dans les mêmes méandres.
Lorsque j’ai déposé mes recours pour excès de pouvoir, malgré de nombreuses preuves et témoignages déposés, je me suis vu infligé des classements sans suite ou des non lieux mais à chaque fois avec une bienveillance des magistrats qui ne m’ont jamais condamné et m’ont exonéré des condamnations réclamées par mes employeurs, comme pour calmer le jeu. Il est vrai qu’à chaque fois j’avais changé entre temps d’employeur, et j’ai le net sentiment que la justice administrative préfère nettement étouffer les affaires que de les juger en matière de conflits dans le travail.
Les employeurs disposent donc de pouvoirs exorbitants en matière de gestion de leurs agents et peuvent compter, la plupart du temps, sur la bienveillance des magistrats de la juridiction administrative qui ont pour mission première la protection de la collectivité qui agit à priori dans l’intérêt général alors que le fonctionnaire ne peut qu’agir que dans son propre intérêt…
Ce qu’il conviendrait de faire
Mon livre “fonctionnaire malgré moi”, malgré son titre, révèle mon engagement total dans la fonction publique durant mes 32 années de carrière dans différentes collectivités locales, et sur des emplois différents, évolutifs. Il montre aussi l’évolution des mentalités, et se veut donc donneur d’alerte pour une meilleure efficacité de l’action publique.
Mon expérience et les témoignages reçus me permettent aujourd’hui de poser plusieurs postulats :
– L’augmentation de l’absentéisme dans la fonction publique est directement liée au management
– Le présentéisme est à son degré minimum tant l’envie de travailler s’est réduite en raison d’un manque de reconnaissance
– Les pouvoirs prépondérants et sans contrôles minent le climat social dans la fonction publique et favorisent les excès.
– La réduction aveugle du nombre de fonctionnaire et la vision comptable qui en découle ne fait qu’augmenter la pression et les effets des trois premiers postulats
– Les clichés négatifs sur les fonctionnaires sont aujourd’hui alimentés par certains responsables politiques et leurs collaborateurs issus d’une formation intellectuelle corporatiste
Je propose donc :
– La mise en œuvre d’un véritable Etat Général des conditions de travail dans la fonction publique avec l’aide des experts et des partenaires sociaux
– La collecte des bonnes initiatives locales mises en œuvre pour inspirer  l’adoption d’une charte managériale opposable
– Un toilettage du statut en le modernisant et en l’adaptant aux nouvelles attentes des fonctionnaires postmodernes.
– Une meilleure protection des fonctionnaires en leur permettant de saisir une juridiction paritaire
– Un service de contrôle de type Inspection générale sous l’égide de l’Etat

Il reste donc bien entendu la nécessité d’une volonté politique au niveau national, donc au niveau de l’Etat, qui, en sa qualité de premier employeur national, pourrait s’attribuer cette noble tâche de montrer l’exemple.

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