Aux franges de l’agglomération parisienne : Quel rôle pour les villes petites et moyennes ?

L’Institut Paris Région[1] a publié, en juin dernier, une étude[2] sur le rôle que jouent les villes petites et moyennes de la grande couronne dans le système métropolitain francilien. Alors que le processus de métropolisation vient bousculer les systèmes de gouvernance et les dynamiques de développement urbain, quelle place pour ces villes des franges ? Comment peuvent-elles tirer leur épingle du jeu pour « être plus qu’une simple campagne de Paris » ?

Article initialement publié sur City Linked.

Situées en marge de l’aire urbaine parisienne, les villes petites et moyennes de la grande couronne francilienne se distinguent du reste du territoire français, notamment par leur proximité avec le cœur d’agglomération parisien. Certaines d’entre elles bénéficient du programme « Action Cœur de Ville », lancé par le gouvernement en 2017 pour redynamiser l’activité économique, renouveler le parc d’habitat et renforcer, ou réanimer, la dynamique commerciale en cœur de ville. À rebours de l’image du territoire périurbain « périphérique » et « exclu » des dynamiques de développement et des dynamiques métropolitaines (Guilluy, 2014), ces villes ont, semble-t-il, un rôle à part entière à jouer dans le système métropolitain de l’Île-de-France.

Les villes franciliennes de plus de 10000 habitants bénéficiant du programme Action Coeur de Ville

De quoi parle-t-on ?

L’étude se penche sur 18 villes de la grande couronne, qualifiées de « villes petites et moyennes ». Les définir n’est pas aisé, tant il se cache de disparités sociales, économiques, historiques et territoriales derrière ce vocable. On retiendra néanmoins trois caractéristiques communes :

Les villes petites et moyennes et leur intercommunalité en 2018

  • Leur situation dans l’espace francilien. Ces villes sont généralement situées à une distance comprise entre 40 et 50 km de Paris ; elles sont toutes reliées directement au centre de l’agglomération, en raison de leur positionnement sur des axes marchands entre la province et Paris et sur le réseau de voies ferrées.
  • Leur place, d’après le nouveau zonage effectué par l’INSEE en 2012, de cœur des bassins de vie de la grande couronne francilienne. Il est à noter que ces pôles correspondent en majorité aux pôles de centralité définis par le schéma directeur de la Région Île-de-France (SDRIF) de 2008 pour l’espace rural et périurbain francilien.
  • Leur rôle structurant en matière d’offre d’emplois, d’équipements et de services. Toutes exercent en outre une forme de centralité décisionnelle et politique, soit parce qu’il s’agit d’anciennes villes royales, soit parce qu’elles ont joué un rôle administratif dès la mise en place de la circonscription administrative de la Généralité de Paris (1542). Elles bénéficient ainsi de la présence d’un certain nombre de services déconcentrés de l’État.

Un destin essentiellement lié à la planification

L’étude montre que le destin de ces villes petites et moyennes est intrinsèquement lié aux politiques d’aménagement mises en œuvre en Île-de-France à partir des années 1960. Leur place n’a cessé d’osciller au gré des documents de planification. Le Plan d’Aménagement et d’Organisation Générale de la Région Parisienne (PADOG) envisageait ainsi, dès les années 1960, de déconcentrer Paris, notamment en s’appuyant sur les villes moyennes existantes situées à 40 ou 50 km de Paris, en mesure de recevoir logements et activités, surtout industrielles. Ces villes « satellites » sont vouées à devenir les points nodaux de la structuration territoriale du territoire francilien.

Mais le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris (SDAURP) de 1965 vient changer la donne en planifiant la création des villes nouvelles pour répondre aux problèmes démographiques de la région parisienne. Celles-ci auraient très bien pu être créées en prenant appui sur les villes satellites. Mais il en est décidé autrement, notamment pour ne pas entraver la croissance de villes comme Orléans, Chartres, Évreux, Rouen, Amiens ou Reims, situées à une heure ou une heure et demie des portes de Paris et qui montrent, depuis quelques années, un grand dynamisme. Les villes petites et moyennes de la grande couronne sont donc maintenues à l’écart des grands axes d’urbanisation définis au sein du SDAURP. Pendant près de trente ans, elles resteront dans l’ombre des villes nouvelles.

Les plans ultérieurs, qui traduisent une vision plus polycentrique de l’aménagement en Île-de-France, conduiront à une revalorisation progressive de ces villes. Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (SDAURIF) de 1976 leur assigne un développement modéré, conciliable avec la préservation des espaces ruraux environnants. Le SDRIF de 1994, en revanche, les mets de nouveau dans la lumière en leur attribuant une dénomination nouvelle, celle de villes « traits d’union » : les villes petites et moyennes ne sont plus désignées, sur la cartographie du SDRIF, comme étant à la périphérie mais sont au contraire partie intégrante du système de développement régional. Enfin, le SDRIF de 2013 en fait des « pôles de centralité secondaires » sur lesquels il faut s’appuyer pour développer une multipolarité régionale : le rôle qui leur est attribué vient s’inscrire dans la continuité de leurs fonctions établies – offrir une qualité de vie urbaine dans un environnement largement naturel.

Des villes « en perte de vitesse » ?

Peut-on dire que les villes petites et moyennes de l’agglomération parisienne sont actuellement, du fait de leur positionnement périphérique et du peu de considération qu’il leur a été fait ces dernières décennies, en décroissance ? Pour répondre à cette question, les auteurs de l’étude ont analysé les données statistiques disponibles.

Il en ressort, tout d’abord, que ces villes connaissent en réalité, depuis une dizaine d’années, un certain renouveau démographique par rapport aux autres espaces périurbains ou ruraux qui les environnent. On ne peut sans doute pas parler d’explosion démographique, mais certaines d’entre elles connaissent des taux de croissance particulièrement élevés au regard d’autres territoires franciliens : 3,7% à Persan, 2,5% à Montereau-Fault-Yonne, ou encore 1,6% à la Ferté-Gaucher alors que la moyenne régionale est à 0,52%.

S’agit-il, par ailleurs, de villes « vieillissantes » ? Prises dans leur ensemble, elles apparaissent comme des villes où la population est en moyenne plus âgée que dans le reste de l’Île-de-France. Mais si l’on n’y regarde de plus près, deux profils de ville se distinguent : d’un côté, des villes que l’on peut effectivement qualifier de vieillissantes, comme Milly-la-Forêt, Provins, Fontainebleau, la Ferté-Gaucher, Rambouillet et Coulommiers. La part des plus de 60 ans y dépasse les 25%. Ces villes-là connaissent, par ailleurs, une décroissance démographique. De l’autre, des villes à dominante jeune, où la part des jeunes entre 0 et 19 ans avoisine les 30%. Toutes disposent d’un taux de croissance positif.

Dynamique démographique des villes petites et moyennes au sein de leur intercommunalité

Sur le plan socio-démographique, ces villes correspondent à ce que l’on appelle des villes modestes ou intermédiaires. Avec un foncier sensiblement moins cher que le cœur d’agglomération, elles abritent majoritairement des employés (34%) et des ouvriers (21%). La part des cadres n’est majoritaire dans les ex-villes royales, notamment, dont Rambouillet (29%) et Fontainebleau (30%) mais aussi à Milly-la-Forêt.

Du point de vue de l’emploi enfin, malgré le développement des emplois présentiels, ces territoires sont marqués par une croissance faible : 0,57% en moyenne. Certaines de ces villes n’ont jamais retrouvé le nombre d’emplois qu’elles avaient avant la crise de la désindustrialisation au début des années 1990, voire pour certaines leur niveau de 1975. Elles se caractérisent toutes par une baisse importante de la part de l’emploi salarié privé : – 8% sur la période 2007-2016. Les emplois publics représentent ainsi plus de 60% des emplois à Beaumont-sur-Oise et près de 40% à Coulommiers, Étampes, Fontainebleau ou Provins. L’étude souligne, pour finir, le fait que ces villes concentrent souvent des taux de chômage plus élevés que les communes périurbaines ou rurales dont elles constituent la centralité.

Répartition de l’emploi au sein des EPCI des villes petites et moyennes

L’analyse de ces données permet d’établir qu’il n’est pas tout à fait juste de parler de villes en décroissance. Certaines de ces villes petites et moyennes ont certes été fortement impactées par la désindustrialisation ces 30 dernières années ; certaines d’entre elles perdent actuellement de la population. Fontainebleau par exemple, qui perd de la population de manière continue, n’est pas ce que l’on peut appeler une ville en déclin. Il serait donc sans doute plus adapté de parler de villes « fragilisées » sur le plan de l’emploi.

Les lieux de résidence des actifs travaillant dans les 18 villes d’étude

Les déplacements domicile-travail des actifs résidant dans les 18 villes de l’étude, en 2015

Quel rôle dans l’espace francilien ?

« Traits d’union » entre les espaces franciliens et surtout entre le territoire urbain et le territoire rural, les villes petites et moyennes de la grande couronne francilienne assurent, malgré leurs difficultés, un rôle de centralité par rapport à leur environnement immédiat. Elles ont pourtant, aux dires des élus interrogés dans le cadre de cette étude, du mal à « exister » dans la logique et la construction métropolitaine.

La plupart des maires sondés se représentent ainsi leur ville comme un territoire « exclu », en marge de la région parisienne, dans une sorte de « cercle vide ». Un phénomène que la construction institutionnelle du Grand Paris vient renforcer au lieu de l’atténuer : les élus la comparent à une « clôture institutionnelle », qui les instrumentalisent en les considérant comme de simples « territoires servants » de la métropole ou comme des arrière-pays transformés en espaces de services et de loisirs pour les métropolitains. Les maires se plaignent aussi d’un effet « bout de ligne » en termes d’infrastructures de transport, avec des liaisons quotidiennes insuffisantes avec Paris.

D’où une question qui revient de façon lancinante chez les élus de ces villes : comment exister dans le système métropolitain ? Exister passe aussi par une reconnaissance sur le plan institutionnel et donc une visibilité dans l’espace francilien qui passerait, selon certains élus, par la nécessité de dépasser l’échelle communale et de jouer la carte de l’intercommunalité de grande dimension. On en est cependant encore loin : la plupart des structures intercommunales n’ont actuellement qu’un rôle très limité et il reste compliqué de tirer l’ensemble des maires vers  des problématiques communes.

L’enjeu est clair : il s’agit de créer avec la centralité métropolitaine une relation, non de dépendance, mais d’interdépendance. Les villes petites et moyennes des franges franciliennes pourraient être investies d’une fonction spécifique, nécessaire au bon fonctionnement de l’ensemble métropolitain régional. Loin de n’être qu’au service de l’agglomération urbaine parisienne, en accueillant notamment sur leurs territoires une partie des services urbains, elles incarneraient des centralités ouvrant un « droit à la ville » pour les petites communes périphériques alentours, mais aussi des relais de leurs attentes et leurs ressources à la fois énergétiques, alimentaires et paysagères.

 

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Extrait d’un verbatim de l’étude:

« En fin de compte, avec Paris Métropole, le Grand Paris, c’est l’articulation entre la zone dense et le reste qui se joue mais où on sera là-dedans ? Quelle place aura-t-on dans ce système ? On se plaignait il y a déjà quelques années de ne pas avoir d’équipements parce qu’on est aux franges, avec ce qui va se passer au niveau du Grand Paris, comment on va exister. On est en Seine-et-Marne, le territoire le plus pauvre. On a intérêt à se regrouper. C’est pareil au niveau de l’intercommunalité, on est une communauté de communes de 26 000 habitants, ce n’est pas sérieux, ce n’est pas une taille suffisante, on n’a pas l’économie, on n’a pas les transports… Nous on est dans les franges, on ne peut pas rester au seul niveau de notre commune sinon on n’existe pas. » (Maire de la Ferté-Gaucher).

 

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L’étude menée par l’Institut Paris Région éclaire d’un jour nouveau ces villes des franges franciliennes qui n’ont longtemps été considérées que comme des exclues du phénomène métropolitain. Outre leur dynamisme propre, elle démontre le rôle à part entière qu’elles devraient jouer dans la construction du Grand Paris à venir.

 

[1] Anciennement Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la région Île-de-France (IAU)

[2] Villes des franges de l’agglomération parisienne – « Être plus qu’une simple campagne de Paris ! », L’Institut Paris Région – Juin 2019

© Cartes réalisées par l’Institut Paris Région tirées de l’étude sur Les villes des franges de l’agglomération parisienne, juin 2019

 

 

 

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