Réformer les territoires pour renforcer la France ?

On a du mal à imaginer que la solution au problème du millefeuille français viendra du projet de nouvelle carte des régions proposée par l’Elysée tant elle semble en contradiction avec les objectifs annoncés.

« Faut-il rappeler que la réforme  s’inscrit dans la volonté de moderniser notre pays et de le rendre plus fort ». Tournée vers le citoyen, elle doit permettre de réaliser des économies, rendre les collectivités plus efficaces et les régions plus fortes, c’est-à-dire plus compétitives et plus attractives.

Je ne me prononcerai pas sur les économies réalisées, très difficiles à estimer, mais je note que les experts les estiment entre 2 à 12 milliards suivant les analyses ! Il faut assumer le fait que ces économies seront inexistantes à court terme (le coût des fusions devrait même entrainer un surcoût dans un premier temps) mais qu’elles seront réelles à long terme, surtout lorsque la suppression des conseils généraux sera réalisée, d’ici 2020 donc !

On peut émettre  de sérieux doutes sur la capacité du projet à atteindre ses objectifs en termes d’efficacité et d’attractivité car les critères les plus reconnus dans ce domaine ne semblent pas avoir été pris en compte :

1. Au-delà de l’histoire qui a construit et qui justifie les régions européennes, l’efficacité et l’attractivité d’un territoire dépendent d’abord de leur pertinence en terme d’identité, c’est-à-dire en termes de traits culturels, de « codes » propres à chaque territoire qui donnent le sentiment d’appartenance des individus à un même groupe, qui définissent sa personnalité, qui lui confèrent son individualité et qui le caractérisent, c’est-à-dire qui le rendent unique. C’est la condition indispensable pour transmettre du sens et créer du lien, nécessaire à la mobilisation des hommes autour des projets de territoire,  mais aussi pour démarquer un territoire de ses concurrents et créer de la valeur, pour les citoyens comme pour les entreprises. En clair, le rapprochement des deux Normandie est tout à fait justifié mais les autres sont incompréhensibles. Ramener le Gard ou l’Hérault en Midi Pyrénées, sous prétexte de raisonner par rapprochement de région, est une négation de la réalité identitaire et économique de ce territoire. C’est inefficace en termes d’attractivité, contreproductif en terme d’efficacité (doit-on rappeler que Midi-Pyrénées est déjà une des plus grandes régions d’Europe ?) et un non-sens pour la proximité entre la région et les citoyens.

« Nous ne sommes plus au temps des rois et des provinces ! »

2. Pour faire de l’appartenance à une région un avantage concurrentiel, il aurait fallu au minimum consulter les entreprises, à défaut des citoyens. Nous ne sommes plus au temps des rois et des provinces ! A l’ère de la montée en puissance de l’économie créative et collaborative, la puissance d’une région au sein de l’Europe  viendra de sa capacité à co-construire et co-manager son territoire avec ses acteurs leaders. Sait-on que certaines villes comme Barcelone ou Amsterdam, souvent citées comme des référents dans ce domaine, font financer leurs politiques d’attractivité par leurs partenaires privés à plus de 75 % ? Il est certain que la consultation des entreprises empêcherait de construire la région Centre-Poitou-Charente-Limousin et éviterait de couper en deux les grandes portes d’entrées internationales comme par exemple « Loire Valley » !

3. En termes de compétitivité et d’attractivité, la taille d’une région ne doit pas se déterminer par un nombre d’habitants ou par une taille géographique comme cela a été mis en avant dans le projet mais, au-delà de l’identité, davantage par son PIB, sa capacité à innover et à construire une offre d’excellence mondiale, à l’image des plus grandes réussites dans le monde. Sur ce critère, et au-delà de la rupture identitaire, le rapprochement entre Champagne-Ardenne et Picardie n’est pas efficient et la Corse, si faible, n’a aucune raison à ne pas être rattachée à Paca.

4. On ne peut parler de regroupement de régions sans tenir compte de la notoriété et de l’image des territoires et sans tenir compte de la force de leur nom. Midi Pyrénées est ainsi un très mauvais nom de région parce que sa notoriété est très faible à l’international, parce que le mot Midi est ambigu géographiquement et parce que la région ne regroupe qu’une partie des Pyrénées ! Sur ce critère, il aurait été plus judicieux de créer une région « Sud-Ouest » (la marque est déjà mise en place par les deux régions Aquitaine et Midi-Pyrénées) et « Provence-Méditerranée » avec Paca et Languedoc-Roussillon. De même, le pays basque (qui ne correspond à aucune réalité administrative, le Jura (qui devrait idéalement se promouvoir avec le Doubs et le jura suisse), la Vendée ou  la Savoie/Haute Savoie (qui se revendique « Savoie Mont Blanc ») doivent pouvoir, à juste titre, se promouvoir en tant que telles, quelle que soit la région à laquelle ils seront rattachés. La réforme doit prévoir la possibilité de développer à l’intérieur des régions des « missions attractivité » centrées sur la notoriété, l’identité et des offres d’excellence mondiale mais conditionnées à la mobilisation réelle et financière des acteurs institutionnels et privés du territoire.

5. Enfin, la construction des régions doit aussi être construite autour des métropoles et des problématiques de transport pour qu’elles soient efficaces et attractives. Le rapprochement entre Picardie et Champagne-Ardenne est injustifiable sur ce point.
Mais la vraie question que pose cette nouvelle carte des régions qui contredit les objectifs annoncés puisqu’elle ne tient aucun compte des critères reconnus pour les atteindre, est celle de la volonté du gouvernement d’aller vers une réelle décentralisation ?

Joël Gayet

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