CNIE : Souriez vous êtes fichés

L’actuelle proposition de loi relative à la carte nationale d’identité électronique vise à lutter plus efficacement contre l’usurpation d’identité. Le texte a été adopté sous la pression d’un lobby et aboutit à un fichage généralisé de la population que l’on peut juger disproportionné.
La proposition de loi relative à la nouvelle carte nationale d’identité électronique (CNIE) a été votée le 7 juillet à l’Assemblée nationale, après que le Sénat est donné son aval le 31 mai. Le texte passera donc bientôt en Commission mixte paritaire (CMP).
Le but affiché de cette nouvelle carte d’identité est la lutte contre l’usurpation d’identité. Ce phénomène en constante augmentation ferait chaque année plus de 200 000 victimes. Ce délit consiste à prendre l’identité d’une personne pour agir en son nom. Les fraudeurs peuvent ainsi effectuer des opérations bancaires (virements, retraits, prêts) ou encore violer la loi sans être inquiétés (infractions routières notamment). Dans ce sens, la nouvelle carte d’identité, bien plus sûre que son ainée est résistante à la fraude. En effet, la CNIE s’appuie sur la base TES (titres électroniques sécurisés), déjà utilisée pour les passeports biométriques.
Elle intégrera deux puces électroniques. La première puce, dite “régalienne”, contiendra les données d’état civil (nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance) ainsi que des données biométriques (taille, couleurs des yeux, empreintes digitales, photographie). La seconde puce, dite “services”, est destinée aux services et commerce électronique.

“Pourquoi intégrer une puce commerciale à une carte d’identité ?”

On peut d’ores et déjà s’interroger sur la présence de cette seconde puce, qui est, selon le rapporteur du texte, optionnelle. Pourquoi intégrer une puce “commerciale” à une carte d’identité ? Les services mobiles en matière d’achat à distance sont déjà nombreux.
Jean-Marc Manach, dénonce, sur son blog, une campagne importante de lobbying de la part du secteur de la biométrie. En effet, via le groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques (GIXEL), huit entreprises ont été auditionnées lors de l’élaboration du texte. De l’aveu même du co-auteur de la proposition de loi, le sénateur Jean-René Lecerf, il y a “un petit problème éthique”. Le système de fichier centralisé, lequel serait à “liens faibles”, c’est à dire qu’il serait impossible de croiser les données biométriques entre elles, “seule l’entreprise Morpho est capable de le faire”. La société Morpho qui appartient au groupe Safran est une entreprise spécialisée dans la biométrie. Elle fait partie du GIXEL et a été auditionnée par l’assemblée parlementaire. De plus, on connait la volonté affichée du gouvernement d’aider ce secteur industriel d’avenir dans lequel les entreprises françaises sont à la pointe. La présence d’une puce “services” dans la nouvelle CNIE s’inscrit donc très certainement dans un patriotisme économique.

“45 millions de personnes fichées pour empêcher 200 000 délits, le principe de proportionnalité serait-il passé à la trappe ?”

Le passage à l’électronique de la nouvelle carte nationale d’identité suppose un fichier où stocker ces données. Avec ce fichier, les autorités pourront lutter plus efficacement contre l’usurpation d’identité. C’est ainsi que 45 millions de français âgés de plus de 15 ans se retrouveront fichés. 45 millions de personnes fichées pour empêcher 200 000 délits, le principe de proportionnalité serait-il passé à la trappe ? C’est d’autant plus inquiétant puisque le dernier fichier central et général de la population française fut instauré par le régime de Vichy en 1940 avant d’être détruit à la Libération.

“Un sujet complexe et délicat qui aurait mérité mieux que la présence de 11 députés”

Ce débat sur la carte nationale d’identité électronique relance à nouveau la question de l’équilibre entre liberté et sécurité. Un sujet complexe et délicat qui aurait mérité mieux que la présence de 11 députés.

La constitution d’un fichier central de la population porte évidemment atteinte au droit à la vie privée. Cette liberté immuable est garantie à tout citoyen par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789 ainsi que le Convention européenne des droits de l’homme de 1950. L’Etat peut légiférer en la matière pour des raisons de sécurité publique (lutte contre l’usurpation d’identité par exemple) mais de manière proportionnée et en encadrant ce processus de garanties légales. Car comme l’a si bien dit Benjamin Franklin : “Une société prête à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finie par perdre les deux”.

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2 pensées sur “CNIE : Souriez vous êtes fichés

  • 16 septembre 2011 à 16 h 28 min
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    “Un sujet complexe et délicat qui aurait mérité mieux que la présence de 11 députés” ==> La faute à qui ?

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